Ceux qui me connaissent savent que je ne suis pas insensible à la photographie. Je ne résiste donc pas au plaisir de vous parler d’une série photo de Françoise Huguier, intitulée « Virtual Seoul ». Cette série, présentée jusqu’en mai dernier au Musée d’histoire de Séoul (Seoul yeoksa bangmulgwan) se laisse désormais admirer à Paris, pour notre plus grand bonheur. Dans le même temps, un beau livre sort aux éditions Actes Sud.
Qui est Françoise Huguier ?
Françoise Huguier n’est pas une inconnue dans le monde de la photographie, loin de là. Cette grande voyageuse, qui parcourt le monde depuis quelques décennies, témoigne par son travail documentaire et sa perception du réel d’un monde en mouvement qui la questionne. Voyages en Sibérie polaire, traversée de l’Afrique, séjours en Asie. Cette portraitiste dans l’âme, qui se définit comme une enfant gâtée et curieuse, fonctionne à l’envie. Ses choix nous parlent, son regard nous touche. Pas étonnant qu’elle ait remporté en début d’année le prix international Albert Kahn photo 2016.
Pourquoi la Corée du Sud ?
Françoise Huguier découvre la Corée du Sud en 1982, après un travail photographique en Asie du Sud-est et au Japon. A Séoul, elle arpente une ville en devenir où les barres d’immeubles remplacent les vieux quartiers. Elle y découvre une génération de travailleurs qui luttent pour la réussite de leur pays, et qui souffrent en silence pour sortir de la misère. Les années passent, mais l’Asie demeure. A Kuala Lumpur, elle s’aperçoit avec stupeur que les jeunes de la communauté chinoise sont fans de kpop! Quand à leurs parents, ils préfèrent désormais regarder des dramas coréens. La culture populaire coréenne semble avoir éclipsé tout le reste. En réalisant sa série photo qu’elle présentera en 2014 à la Maison européenne de la photographie (Pince-moi, je rêve), elle se dit: «il faut que je retourne en Corée du Sud, c’est là que ça se passe». Aussitôt dit, aussitôt fait.
Qu’est devenue Séoul ?
C’est peu de dire que la Corée d’aujourd’hui étonne l’artiste, trente deux ans après son premier voyage. Temple de la technologie ultramoderne, Séoul n’a plus rien de la capitale en perpétuel chantier, dévastée par la guerre. Le consumérisme est devenu la nouvelle mode, la chirurgie esthétique le nouveau critère de beauté. Les jeunes ont changé, leur monde acidulé est presque surréaliste. Françoise Huguier raconte: «En face du musée du design, le DDP, des groupes d’amateurs de K-pop se produisent sur des scènes installées devant un shopping mall. C’est gratuit, en plein air. Une foule de tous les âges, bouche ouverte et Ipad dressé, assiste au concert d’un groupe de filles aux cheveux longs, qui se trémoussent en short. Lorsqu’un boys band prend leur suite, c’est l’hystérie.». Que dire de ceux qui paient une fortune pour s’initier à la mort dans un «centre d’apprentissage de l’au-délà »? Mais la jeunesse coréenne n’est pas la seule à subir les revers de la médaille. Au Dream Palace, une discothèque désuète, elle reçoit un choc en voyant des personnes d’âge mur, au look très travaillé, qui s’affichent au bras de leurs «lovers», bien loin de leur légitime moitié. Leur excentricité se heurte à la pauvreté des derniers habitants des bidonvilles qui, eux, semblent avoir trouvé refuge dans la religion.
Je ne sais pas pour vous mais le regard extérieur de la photographe me dérange parfois. Cependant il me questionne aussi. Certes, la Corée du Sud ne se limite pas à Séoul et à cette image de capitale virtuelle postmoderne. Mais force est de reconnaître que tous ces clichés n’en sont pas complètement et qu’il y a beaucoup de vrai dans ce qu’elle perçoit et ce qu’elle nous montre…
Deux expositions, un livre
Vous pourrez apprécier les photographies de Françoise Huguier dans deux galeries parisiennes : chez Polka Galerie, 12 rue Saint-Gilles (3ème), jusqu’au 29 octobre 2016, ainsi qu’au Carré de Baudouin, 121 Rue de Ménilmontant (20ème) jusqu’au 31 décembre 2016.
Il vous faut compléter ces visites par la lecture du très bel ouvrage paru avant-hier aux éditions Actes Sud, qui retrace cette incroyable série photographique. Françoise Huguier, qui y propose donc sa vision personnelle et très colorée d’un monde urbain mondialisé où les frontières entre le virtuel et le réel sont de plus en plus fines, accompagne son récit avec des textes de Patrick Maurus, grand spécialiste de la Corée. Ce dernier apporte un éclairage sociétal très intéressant, questionnant la mutation de la péninsule ces trente dernières années. Un ouvrage que je recommande chaudement.
Pour vous le procurer :
Virtual Seoul / Françoise Huguier; textes de Patrick Maurus et Françoise Huguier
Actes Sud, 2016
ISBN : 978-2-330-06667-3
256 pages
35 euros